L’INSURRECTION DES GLADIATEURS

[Mark Crame, Angle d’Attac, Octobre, 2017]

Des centaines de joueurs de football américain ont posé un genou à terre dans les stades aux Etats-Unis, le dimanche 24 septembre, avant les compétitions. Un geste symbolique marquant la forte défiance envers un Donald Trump qui a appelé à “virer” les sportifs ne respectant pas l’hymne national. « Sortez-moi ce fils de pute du terrain, il est viré, viré ! » a dit le président. Bizaremment Trump n’a pas montré le même niveau  d’indignation   quand   il   a   condamné les manifestants néo-nazis à Charlottesville. Selon lui, « il y avait des gens très bien parmi eux ».

Cette nouvelle série d’actes de protestation des footballeurs a commencé à l’été 2016 avec un seul « Spartacus », Colin Kaepernick, quarterback (maréchal) de l’équipe de football américain, les 49ers de San Francisco. Choqué par les abus policiers contre les Noirs et le système de justice dévoyé, Kaepernick commence son acte d’insoumission en silence, en restant assis pendant que l’on joue l’hymne national. Pour les prochains matchs, il préférera mettre un genou à terre par respect pour les anciens combattants.

Un contexte de banques prédatrices et racistes

Depuis la crise financière de 2008, les inégalités entre Noirs et Blancs se sont aggravées et une très grande proportion des victimes des sub-primes portés par les prédateurs banquiers ont été des Noirs. La présence d’un président noir n’a rien fait pour améliorer cette situation. Selon The Atlantic, “la récession, douloureuse pour tout le monde, a été spécialement désastreuse pour les Américains noirs » (voir The American Prospect, “The Collapse of Black Wealth,” Monica Potts, décembre 2012).

Les     footballeurs    désignés     comme     des «gladiateurs » ?

L’image des inégalités raciales de l’Amérique se lit à travers les statistiques du football : 80 % du public est Blanc, 70 % des joueurs sont Noirs et tous les propriétaires d’équipes, sauf un, sont Blancs.

Des autopsies de plus d’une centaine de cerveaux d’anciens joueurs professionnels de football américain révèlent que la quasi-totalité d’entre eux souffraient d’une dégénérescence cérébrale chronique liée à des coups répétés sur la tête, selon une étude exhaustive publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA).

Les chercheurs ont analysé les tissus cérébraux de 202 anciens joueurs de football américain aux États-Unis et au Canada, qui avaient joué pendant près de quinze ans. Une encéphalopathie traumatique chronique (ETC) a été diagnostiquée chez 177 joueurs, soit 87 % d’entre eux. Sur les 111 joueurs ayant participé à la National Football League (NFL), un seul ne présentait pas de dégénérescence.

Le joueur Junior Seau s’est suicidé en mai 2012 en se tirant une balle dans la poitrine et non dans la tête pour que son cerveau soit donné à la recherche médicale. Les résultats de l’autopsie ont été fournis et les conclusions sont celles que Seau suspectait : il souffrait de traumatismes lourds au cerveau et il y avait de nombreuses anomalies dans son cortex.

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«La liste macabre des Noirs abattus par la police américaine ne cesse de s’allonger»

C’est le titre d’un article paru dans Le Figaro (8 juillet 2016), environ un mois avant la première protestation silencieuse de Colin Kaepernick. “The Counted,” un dossier du journal The Guardian a documenté que 1 136 personnes ont été tuées par la police en 2015. Statistiquement, les Noirs sont les plus susceptibles d’être tués par un policier. Pour  2016,  le  même  journal  annonce  1 091 personnes en Amérique tuées par la police. Par comparaison, pour l’année 2015, la police allemande n’a tué que 2 personnes.

Le mouvement de protestation initié par Kaepernick souligne aussi l’impunité de la police : les policiers responsables de la mort de Noirs non armés sont rarement condamnés. Il signale aussi l’incarcération de masse : 710 personnes incarcérées sur 100 000 habitants aux Etats-Unis, 123 sur 100 000 personnes placées sous écrou en France, selon Le Monde. Une étude (PETTIT, Becky et WESTERN, Bruce) prouve que 20 % des Afro-Américains nés entre 1965 et 1969 ont été emprisonnés, comparativement à 3 % des Blancs.

Kaepernick, souvent habillé d’un tee-shirt Malcolm X, est scandalisé par ces inégalités.

Au début de ses manifestations, en plein stade, contre les inégalités raciales, Kaepernick restait isolé, avec très peu de soutien. Mais au début de la nouvelle saison, en septembre 2017, Kaepernick restait sans équipe. Aucun propriétaire des 32 équipes de la NFL ne voulait prendre le risque d’offenser les fans blancs majoritaires, souvent nationalistes. Le football américain, un sport métaphoriquement militaire, est directement subventionné par les institutions militaires, en vue de recruter des soldats.

Petit à petit des joueurs commencent à « poser le genou » pendant la diffusion de l’hymne national. La solidarité  avec  Kaepernick et ses idées est en pleine croissance et commence à ressembler à l’histoire de Spartacus.

Je suis Spartacus. L’épisode de Spartacus:

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Aujourd’hui l’effet Kaepernick se répand dans le monde sportif. Même deux chanteurs de l’hymne national ont posé un genou à terre.

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Pour le moment, l’opinion publique reste divisée. Les 50-60 % qui ne soutiennent pas les joueurs y voient un manque de respect pour le drapeau. Il faut rappeler que, dans les sondages, Martin Luther King n’est jamais arrivé à 50 % de partisans au cours de son mouvement.

Les joueurs tentent la pédagogie en essayant d’expliquer que le drapeau n’est qu’un symbole pour leur liberté, surtout la liberté d’expression du « Premier Amendement ». Un énorme défi pédagogique puisque, selon le Washington Post (13/09/17), 37 % des Américains ne peuvent nommer aucun des droits de liberté d’expression garantis dans le Premier amendement.

L’intervention de Trump peut détourner le mouvement. Trump a le don de se mettre dans toutes les affaires pour monopoliser l’attention. Les actions symboliques contre Trump commencent à cacher les protestations contre le racisme.

Dans les sondages, la majorité est opposée à l’intervention du président dans les arènes de football, mais sa présence peut faire dévier les mouvements de protestation.

Le titre d’un éditorial dans le Boston Globe signale une tendance : « Ce que Trump n’a pas compris, maintenant nous sommes tous Kaepernick ! »

Alors que quelques propriétaires participent aux actions symboliques menées par des joueurs, le mouvement risque d’être affadi. Eric Reid, un des premiers joueurs à soutenir  Kaepernick, craint en effet que les objectifs anti-racistes originels  soient   diluées   par   des   mes- sages concurrents et génériques d’amour, de solidarité et de patriotisme.

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